un programme sauvage au Palais Garnier
Lundi soir 23 octobre 2017, le Palais Garnier ouvrait ses portes à ses invités pour présenter la générale des trois ballets programmés jusqu’au 16 novembre prochain : « Agon » de Balanchine, la création « Grand miroir » de Saburo Teshigawara et surtout, le devenu mythique « Sacre du printemps » de Pina Bausch. Une soirée hors temps, pointue, sauvage.
Une pluie incessante s’abat sur le sol parisien. Quitte à glisser sur le marbre des marches, quelques intrépides pressent le pas et s’engouffrent dans le Palais Garnier qui brille de mille feux et dont les lumières se reflètent sur les goudrons trempés.
Au programme ce soir, du prestige qui débute avec Agon, une pièce du chorégraphe George Balanchine datant de 1957, alors que Spoutnik vient d’être placé en orbite autour de la Terre. La partition d’Igor Stravinsky ajoute à l’étrangeté de cette pièce d’une modernité totale. Les pas sont déstructurés, abstraits et plastiques. Deux pas de deux et un pas de trois, impeccablement menés par des danseurs volontairement en déséquilibre. S’en suit la création de la soirée, Grand miroir, du chorégraphe tokoyïte Saburo Teshigawara. La pièce est animale, primitive, organique. Les danseurs, monstres de couleurs, incarne le Violin Concerto d’Esa‑Pekka Salonen avec une sauvagerie singulière et déconcertante.
Puis, la lumière se fait.
Entracte.
Le temps d’en dire un peu plus sur le monument qui arrive.
En 1997, il y a 20 ans, Le Sacre du printemps, ballet de Pina Bausch sur la partition de Stravinsky (et héritier du scandaleux ballet de Nijinsky donné au Théâtre des Champs-Elysées en 1913), entrait au répertoire de l’Opéra de Paris. Avec trois danseurs de sa compagnie, Hans Pop, Josephine-Ann Endicott et Dominique Mercy, la chorégraphe allemande était venue recréer son chef d’œuvre datant de 1977 et donner au corps de ballet de l’institution française les clés de son très fameux et spectaculaire tanztheater. C’était alors la première fois que Pina Bausch travaillait avec d’autres danseurs que ceux de sa propre compagnie basée à Wuppertal.
Depuis, l’Opéra de Paris reprend régulièrement le ballet mythique, et cette année, 40 ans après sa création, 20 ans après son entrée au répertoire, le Sacre est redonné au Palais Garnier. Aujourd’hui, Pina n’est plus. La danseuse est décédée en 2009 et pourtant, son âme vole toujours au dessus de nous. Quand la trentaine de techniciens arrivent sur scène pour installer les kilos de terre qui serviront au décor, ils sont applaudis en grande pompe. Ce décor n’est pas un détail, loin de là. Il est l’essence même de la pièce.
Quand les premières notes de la partition de Stravinsky débutent, dirigé ce soir par Esa-Pekka Salonen, plus une mouche ne vole dans le Palais Garnier. Les lèvres sont suspendues aux mouvements des danseurs qui arrivent progressivement sur scène. Les femmes dans leur robe couleur chair, les hommes ne portant qu’un simple pantalon. Pas d’artifice, pas de coiffure, pas de pointe ni de collant. La peau, les muscles, seulement.
Le tempo s’emballe, les corps avec. Le sacrifice n’est plus loin. Les corps tremblent, de peur et de fatigue. Les poitrines se soulèvent, les cheveux s’emmêlent. Les robes jadis immaculées des femmes sont bientôt recouvertes de la terre nourricière. On craint cette robe rouge qui tout à coup, choisit. L’étoile et directrice du ballet de l’Opéra de Rome, Eleonora Abbagnato, s’approche. La robe rouge est pour elle, elle endosse le rôle acharné, écrasant, de l’Elue. Les pas sont destructeurs, d’une puissance inégalable. Puis le noir revient. La salle met un temps à réaliser ce qu’elle vient de voir. On ne sort jamais indemne d’un Sacre du printemps.
Infos pratiques :
Balanchine / Teshigawara / Bausch au Palais Garnier, du 24 octobre au 16 novembre 2017.
Spectacle complet.
Photo : © Julien Benhamou / OnP