Bruce Springsteen : portrait de la légende du rock

À 68 ans, Springsteen demeure authentique et sincère. Arte lui consacre le documentaire Born to Run vendredi 2 juin à 22h30

« J’ai vu le futur du rock’n’roll, et il s’appelle Bruce Springsteen. » 9 mai 1974. Cambridge, Massachusetts. Le journaliste Jon Landau note, fiévreux, ce qu’il ressent à l’issue de la prestation du guitariste en première partie du concert de Bonnie Raitt. Sur scène, Bruce Springsteen électrise la foule avec une poignée de titres rugueux et poétiques issus de ses deux albums confidentiels. La critique du reporter, parue dans un quotidien de Boston, va lancer sa carrière. Landau a eu du flair. Springsteen décide d’en faire son producteur. Bientôt viendra son heure. Celle du renouveau d’un genre qu’on croyait enterré, après 1969, par un Elvis Presley ayant troqué le cuir pour les paillettes de Las Vegas. Orphelin, le rock est a lors dominé par une pop glam’ d’importation anglaise dont David Bowie distille les plus belles perles. Jusqu’à l’arrivée de Springsteen et sa révolution… C’est dans le New Jersey, en 1949, que ce fils d’un chauffeur de bus dépressif d’ascendance irlandaise et d’une secrétaire exubérante d’origine italienne voit le jour. « On vivait quasiment sous le seuil de pauvreté, mais je n’y pensais jamais, écrira-t-il. On était vêtus, nourris et on avait un lit. »

Enfant naturel de John Ford et de John Steinbeck, Bruce se vit pourtant en outsider. « Bon petit catholique », comme il le reconnaît, chétif et nerveux, on le surnomme à l’école « Blinky », pour sa manie de cligner des yeux. Le garçon entend se viriliser, « afin de ressembler au paternel ». Avant de se trouver un autre modèle. Il n’a pas 10 ans quand il aperçoit le déhanchement de Presley à la télé. Subjugué, Springsteen veut faire pareil. Sa mère, qui rêve pour lui d’une carrière d’artiste, lui offre une guitare sur laquelle Bruce gratte et compose ses premières chansons : « J’avais 15 ans et je griffonnais des petites choses. Si je n’étais pas très bon à l’école, j’avais tendance en cours de création littéraire à être meilleur que les autres. » La révélation Dylan, au milieu des années 1960, lui donne des ailes : « De la même façon qu’Elvis a libéré les corps, déclare-t-il, Bob a libéré les esprits. » Lui qui grandit durant une ère « où il y avait de l’effroi dans l’air » se construit en solo, puis auprès d’amis musiciens du New Jersey, qui forment en sa compagnie le E Street Band.

Repéré par le « découvreur » de Dylan, John Hammond, Springsteen signe en 1972 pour Columbia. Mais c’est son association avec Landau et l’album Born to Run, trois ans plus tard, qui le font décoller. Aussitôt s’impose, comme l’écrit le romancier Richard Ford, « sa manière singulière de chanter, d’une voix rauque, poignante et mémorable. » Son imprévisibilité le fait passer de l’énergie de cet opus fondateur à la profondeur de The River, puis, en 1982, au dépouillement de Nebraska. Mais qu’il évoque le déclassement des cols bleus avec Darkness on the Edge of Town, ou le sida dans Streets of Philadelphia, celui que l’on surnomme The Boss demeure, ainsi que le souligne l’écrivain Russell Banks, « le héros de la classe ouvrière qui chante les travailleurs, les marginaux et les laissés-pour-compte du rêve américain. » Aussi, vit-il avec incrédulité le succès mondial, en 1984, de Born in the U.S.A., puis avec colère la récupération de cette protest song désenchantée mais testostéronée par Ronald Reagan et le camp républicain. Au fond, Bruce reste, malgré l’argent et la gloire, un réfractaire : à la vie de famille, lui qui s’y refuse longtemps, attendant que sa choriste Patti Scialfa l’épouse, la quarantaine venue, et lui fasse trois enfants ; au bonheur, la dépression le saisissant dès ses 32 ans pour ne plus le lâcher et s’accentuer à la soixante ; et à l’idée même qu’il se fait du talent, au point de déclarer : « J’ai la puissance, la tessiture et la résistance d’un barman, mais je n’ai ni une belle couleur ni une finesse vocale particulière. » Il faut le voir, pourtant, en jean, bottes, bandana et silhouette de bûcheron, continuer à partager avec le public son répertoire plus de trois heures durant pour mesurer l’empreinte de ce géant. Artiste doutant sans cesse, mais fier. Et lucide : « Bizarrement, devant des milliers de personnes, je me suis toujours senti en sécurité pour me laisser aller. » Et de conclure, forçat de son art : « Pour être bien, il ne me faut pas de repos. »

Bio express

1949 Naissance dans le New Jersey. Père dépressif. Mère aimante. Enfance complexée, jusqu’à la découverte d’Elvis Presley.

1975 Born to Run, son 3 album, est celui de la révélation qui permet à Springsteen de prendre son envol.

1984 Avec Born in the U.S.A., sa chanson éponyme et ses sept singles, Bruce atteint une gloire mondiale. Phase de dépression.

2016 Marié depuis 1991 à Patti Scialfa et père de trois enfants, il publie, avec Born to Run, une autobiographie littéraire et sincère.

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