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François Cluzet : retour sur la carrière de cet acteur enfin intouchable
Il est aujourd’hui l’un des poids lourds du cinéma français. Mais pendant trente ans, l’acteur est resté dans l’antichambre de la gloire, apprenant patiemment un métier né de ses blessures d’enfant. Retrouvez-le dimanche 14 mai à 21h sur TF1 dans le film qui amena sa carrière à son apothéose : Intouchables.
La scène se passe au siècle dernier. Le petit Cluzet n’a que 13 ans lorsque tata l’emmène voir un spectacle crachant le bruit et la fureur, L’Homme de la Mancha. Dans le rôle de Don Quichotte, un Jacques Brel en transe livre son cœur, ses tripes, sa vie. Les rappels du public durent des heures, Brel pleure. Tétanisé, Cluzet découvre ce qu’il fera plus tard : acteur, celui qu’on aime, qu’on applaudit et qui vibre du plaisir donné aux autres.
C’est que l’ado vit alors une jeunesse lézardée par le manque d’amour. Sa mère a plaqué le foyer quand il avait 8 ans. Entre les mains d’un père dépressif et revanchard, François et son frère ne connaîtront pas l’insouciance de l’âge tendre. « Mon parcours a été un long chemin pour me défaire des oripeaux de mon enfance », confiait-il à Psychologies magazine en janvier dernier. Alors oui, l’amour des autres, il ira le chercher dans les yeux des spectateurs. Il plaque l’école à un an du bac et s’inscrit au cours Simon avec un double objectif : être acteur et célèbre. « J’avais un tel manque d’amour à combler que seule la célébrité pouvait le faire. Je voyais mes potes qui voulaient juste être comédiens. Mais moi, je voulais bousculer, me faire remarquer. » Ça tombe bien, ses premiers pas sur l’estrade font marrer tout le cours. Loin de le doucher, l’humiliation blinde sa volonté. Cluzet découvre la patience. Sa carrière commence par des silhouettes dans des téléfilms ou les shows des Carpentier, de la figuration puis des seconds rôles au théâtre. Au cinéma, l’exposition est plus rapide, frangin cycliste et neuneu d’Alain Souchon (L’Été meurtrier, 1983), voyou ultra-violent (Les Enragés, 1984), amoureux du jazz (Autour de minuit, 1985), entrepreneur facétieux (Association de malfaiteurs, 1987), traumatisé du front (Une affaire de femmes, 1988).
Petit à petit, l’oiseau fait son nid
Emplois secondaires ou rôles de premier plan, François Cluzet alterne les couleurs même si le noir lui colle de plus en plus à la peau. Les caractériels, les fiévreux, les dépressifs, les anxieux, les maladifs, les masos, ceux qui plongent avec délice ou font de la corde raide au-dessus du volcan, il les aura tous joués. Le bruit court vite dans le métier que l’animal se confond avec ses rôles, ingérable disent les polis, sinistre emmerdeur pour les autres. « Si je ne me sens pas aimé, ça peut se passer très mal. Ça me rappelle trop de mauvais souvenirs. » L’enfance encore, et ses blessures béantes qui plongeront Cluzet dans l’alcool durant vingt ans. Tel un héros dostoïevskien, il devra traverser les enfers pour aborder la sérénité. Elle arrivera à l’aube des années 2000. L’acteur a 50 ans, s’est débarrassé de ses démons grâce à l’amour de Valérie Bonneton, venue après Marie Trintignant, mais aussi avec l’aide au long cours de la psychanalyse. Cerise sur le gâteau de la renaissance, l’homme abonné jusqu’ici aux succès d’estime accède enfin à la reconnaissance grand public. En 2006, contre l’avis des producteurs qui ne veulent pas d’un acteur synonyme de bides en série, Guillaume Canet lui offre le rôle en or d’un type amoureux qui risque sa vie dans le thriller Ne le dis à personne. Trois millions d’entrées et enfin le césar après six nominations. François savoure l’exploit et la fierté d’avoir su attendre comme on déguste un vin lentement vieilli en fût. En 2010, nouveau jackpot avec Les Petits Mouchoirs. Karma au top, c’est l’apothéose l’année suivante avec Intouchables, feel-good movie sorti de nulle part qui deviendra le record d’entrées en salles en France.
Enragé ou engagé ?
Parvenu sur la plus haute marche, Cluzet n’oublie pas pour autant la mission œcuménique d’un comédien, tenu de servir toutes sortes de projets et pas forcément les plus rentables. Ainsi peut-il toucher le pactole sur de grosses machines factices comme Une rencontre (2014) ou Un moment d’égarement (2015) et défendre à tarif réduit les œuvres audacieuses, En solitaire (2013), Médecin de campagne (2016) ou La Mécanique de l’ombre (2017). Une démarche à l’image du militant que l’acteur n’a jamais cessé d’être, pestant contre Delon ou Sarko, soutenant l’écologie, les étrangers en situation irrégulière, la lutte contre le sida ou s’attirant les foudres du CSA en 2009 pour avoir pris la défense d’un prisonnier politique incarcéré en Israël. Il n’y a vraiment que les impatients pour choisir la facilité.
Bio express
1955 – Naissance le 21 septembre à Paris. Fils de commerçants, il fait ses études au très chic collège Stanislas.
1980 – Première apparition sur écran dans Cocktail Molotov de Diane Kurys.
2006 – Naissance de sa fille Marguerite, après Blanche (33 ans), Paul (24 ans) et Joseph (16 ans).
2013 – Incarne le convoyeur hors la loi Toni Musulin dans le film 11.6, de Philippe Godeau.